Source : Alliance GEO Stratégique
http://www.alliancegeostrategique.org/2009/03/30/preparer-le-sommet-de-lotan-dallies-a-partenaires/
30 March 2009

Préparer le Sommet de l’OTAN: d’Alliés à Partenaires

mars 30th, 2009

 

Sven Biscop, directeur du Programme Sécurité et Gouvernance Globale à l’Institut Egmont, est l’invité d’Alliance Géostratégique. Il propose un point de vue incisif et percutant, en vue de susciter le débat à quelques jours du Sommet de l’OTAN.

A l’occasion du Sommet pour le 60ème anniversaire de l’OTAN en avril, les membres auront la tâche de rédiger un nouveau concept stratégique, ce qui provoquera sans inévitablement des débats intenses et difficiles à propos du futur de l’Alliance. Alors que l’organisation s’apprête à entreprendre cet exercice, il est important de réaliser que le contexte dans lequel l’OTAN opère a fondamentalement changé. Dès lors, au lieu de se limiter à améliorer les relations OTAN-UE et à rationaliser l’appareil otanien, il est nécessaire de procéder à des changements plus fondamentaux dans l’organisation des relations transatlantiques dans leur ensemble.

Depuis quelques temps déjà, le centre de gravité politique s’est déplacé de l’OTAN vers l’UE et les Etats-Unis. L’OTAN n’est désormais plus le forum pour le débat entre Europe et Amérique du Nord. Dans beaucoup de domaines, un dialogue direct s’est établi entre Bruxelles et Washington. Beaucoup de sujets prioritaires à l’agenda aujourd’hui ne sont qu’indirectement liés aux questions de sécurité et de défense. Non seulement l’OTAN a peu ou prou d’expertise sur la crise financière, le changement climatique, l’énergie et d’autres questions clés, mais cela enverrait un signal ambigu si nous adressions ces problèmes au travers d’une alliance militaire. En outre, même concernant les questions de sécurité et de défense, une approche compréhensive ou holistique, qui intègre les dimensions politique, économique et sociale de la politique étrangère, est nécessaire. Et dans certains cas, comme pour les relations avec la Russie, l’OTAN apparaît davantage comme une partie du problème que de la solution.

De facto, l’Alliance évolue vers une « OTAN-à-2-piliers » dans laquelle, à côté des gouvernements individuels, l’UE et les Etats-Unis constituent le premier niveau de décision. Ces derniers peuvent entreprendre une politique étrangère holistique, allant de l’aide et du commerce, de la promotion de la démocratie et des droits humains, à la diplomatie et à la défense. Et l’UE, à la différence de l’OTAN, est bien plus qu’une simple organisation intergouvernementale.

De manière importante, au même moment, une divergence stratégique est apparue entre l’UE et les Etats-Unis, mieux exprimée dans leurs stratégies respectives. A la lecture de la Stratégie de Sécurité Nationale US, le monde apparaît essentiellement comme très dangereux ; à la lecture de la Stratégie de Sécurité Européenne, le monde apparaît surtout très complexe. Cette divergence ne disparaîtra pas avec un autre occupant dans la Maison Blanche parce que ce n’est pas le résultat d’un changement chez les Américains, mais plutôt chez les Européens – l’UE est devenue beaucoup plus consciente de ses propres intérêts et priorités.

Cette évolution à deux faces devrait se retrouver dans l’organisation des relations transatlantiques :

(1) Dans un monde multipolaire, l’UE doit avoir la marge de manœuvre nécessaire pour interagir de manière flexible avec tous les acteurs globaux. Néanmoins, l’Amérique doit rester au plus près de l’Europe. Le partenariat UE-USA doit dès lors être approfondi, devenir plus compréhensif, plus opérationnel. Ce partenariat politique doit être bien plus qu’une succession de sommets. Peut-être des organisations permanentes sont en vue ; dans tous les cas, les Européens doivent s’adresser aux Etats-Unis au travers de l’UE. Au sein d’un tel partenariat, l’OTAN devient davantage une organisation technique, exécutive : si l’UE et les USA décident d’agir militairement ensemble, ils passeront par l’OTAN.

(2) Le premier niveau de prise de décision, y compris sur les questions de sécurité et de défense, est constitué des deux « piliers », à savoir l’UE et les USA. De plus en plus, c’est au sein de l’UE que les Européens prennent la première décision politique d’agir ou non dans une crise donnée. Si une action militaire est décidée, la décision secondaire devient alors le choix du cadre opérationnel : la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD), l’OTAN, les Nations Unies, ou l’OSCE. Ce choix dépendra toujours d’une décision ad hoc, en fonction des partenaires impliqués et de l’organisation la plus adaptée à la situation – la réalité est trop complexe pour qu’une division du travail inamovible ne fonctionne. Si l’on parlait d’un pilier européen au sein de l’OTAN auparavant, maintenant ce pilier est devenu l’un des acteurs dominants. Le nouveau concept stratégique de l’OTAN sera déterminé par la rencontre entre la Stratégie de Sécurité Européenne et la Stratégie de Sécurité Nationale américaine, et non pas l’inverse (à savoir que le concept otanien définirait la convergence entre les deux stratégies).

(3) Donc, au niveau de l’UE, dans le cadre de la PESD, les capacités militaires européennes doivent être développées plus en avant grâce à différentes formes de coopération et de mise en commun. L’intégration des forces européennes garantit l’autonomie de la PESD, tout en permettant des déploiements au sein d’opérations de l’OTAN si le cadre otanien a été préféré pour une mission spécifique. En ce qui concerne les capacités civiles de l’UE, un accord de coopération UE-OTAN peut être conclu, garantissant l’implication totale de l’UE dans la planification pour les scénarios dans lesquels l’OTAN dirigerait une opération militaire et l’UE mènerait un déploiement civil parallèle. La balle est maintenant dans le camp européen – est-ce que l’UE sera capable de l’attraper ? Une évolution de facto vers une « OTAN-à-2-piliers » est en route, mais pour que ce modèle fonctionne efficacement et qu’émerge un véritable partenariat entre égaux, l’Europe doit parler d’une seule voix et agir comme un seul acteur.

Sven Biscop