EGMONT IN THE PRESS - Source : La Libre
http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/797522/le-pari-de-monsieur-cameron.html
16 Feb. 2013

Le pari de Monsieur Cameron

Mis en ligne le 16/02/2013

Europe La presse britannique a constaté, à juste titre, que la politique européenne annoncée dans le récent discours du Premier ministre britannique se définit comme un double pari. Il parie qu’il obtiendra de ses partenaires européens des concessions, modifiant un certain nombre de politiques convenues, ou de décisions agréées, qui ne conviennent plus à l’opinion publique de son pays. Il parie ensuite que ces concessions futures, présumées substantielles, suffiront à gagner, en 2017, un referendum qu’il se propose d’organiser sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Objectivement, les deux étapes de cette gageure semblent assez hasardeuses. Le premier pari ouvre une boîte de Pandore que la plupart des pays membres n’ont aucune envie d’ouvrir. Le second comporte tous les risques d’un referendum qui devrait se tenir, dans cinq ans, dans des circonstances imprévisibles, sur base d’un nouveau traité, dont le texte est inconnu. Pourtant l’issue finale de ce double pari nous intéresse tous. Il y a quarante ans, la Belgique s’est employée, comme les Pays-Bas et le Luxembourg, à favoriser l’adhésion du Royaume-Uni à la Communauté européenne, par une diplomatie active qui était à l’opposé de la position française. Les trois pays se plaçaient dans la ligne d’une tradition presque millénaire qui veut que ces régions s’efforcent de garder toujours l’équilibre entre l’influence, et les ambitions souvent conflictuelles, de leurs grands voisins : Allemagne, France, Angleterre. On pouvait croire qu’une politique fondée, comme celle-ci, sur la géographie et l’histoire, résisterait au passage du temps. En fait, avec quarante ans de recul, il faut bien reconnaître qu’elle n’a pas justifié cet optimisme. Sans doute a-t-on sous-estimé, à l’époque, de part et d’autre, le caractère novateur, la portée historique, le dynamisme propre des initiatives d’intégration européenne des années cinquante. La réalité politique était différente, le jeu avait changé. Il ne s’agissait plus, comme avant, d’équilibrer l’influence des souverains voisins, mais de parvenir à exercer, avec eux, une souveraineté partagée, ce qui est tout autre chose. Il ne s’agissait plus, comme avant, de concilier des ambitions conflictuelles, mais de créer une entité publique d’un type nouveau, avec ses propres structures, se propres règles, ses propres ambitions. Il s’agissait de structurer un destin désormais partagé, comme le dit en 1950 le premier traité européen qui fonde la CECA. Sans doute y avait-il un malentendu profond sur ce que les uns et les autres pouvaient avoir en tête, ce qui explique les déconvenues. Toujours est-il que la Grande-Bretagne n’a jamais trouvé, ou n’a jamais voulu exercer, dans la construction européenne, le rôle et l’influence que l’on pouvait en attendre. Quelques discours, de Blair notamment, exprimant des ambitions fortes, restées sans suites. Peu ou pas d’initiatives importantes dont on se souvienne. Le marché unique: oui, sans trop de contraintes. La coopération intergouvernementale: oui, surtout avec Paris et Berlin. Pour le reste, des attitudes défensives: le moins possible de nouveautés, pas de politiques nouvelles, surtout pas de nouvelles règles, le moins possible de nouveaux traités, le statu quo. Cette politique traditionnelle, dont Mme Thatcher a été un moment l’avocate rigoureuse, se traduit, depuis vingt ans, par le refus de participer à certaines politiques, parmi les plus importantes, appliquées par les autres partenaires : à Maastricht, c’était le protocole social, à Amsterdam les accords de Schengen, plus tard l’euro, maintenant la coopération judiciaire. C’est le règne de l’opting out. Il va de soi que cette abstention, devenue systématique, diminue l’influence de celui qui l’exerce. On en a vu un exemple frappant quand il s’est agi, en janvier 2012, d’approuver le traité sur la stabilité budgétaire : la Grande-Bretagne s’est trouvée seule à s’y opposer. Le curieux est que cette perte d’influence semble parfois plus ressentie et regrettée sur le continent qu’elle ne l’est en Grande-Bretagne. Le discours de David Cameron ne fait qu’accentuer cette ligne devenue traditionnelle. Son point essentiel est que l’Union européenne se dirige, notamment à cause de la crise de l’euro, vers un niveau d’intégration politique dans lequel la Grande-Bretagne ne se sent pas confortable. Il veut plus de flexibilité, rapatrier des compétences, réexaminer la législation, diminuer les règles, réduire les obligations. Il se félicite de ne pas être dans l’euro, de ne pas devoir aider les pays en difficulté monétaire, de ne pas avoir accepté le traité sur la stabilité budgétaire. Il se félicite d’avance d’être dispensé à l’avenir d’autres obligations. Il dit bien qu’il a une vision positive du futur de l’Union européenne, mais, sauf l’achèvement du marché intérieur, il ne propose que des mesures négatives pour y parvenir. Il veut entrer dans l’avenir en marche arrière. Un point frappant est la critique acerbe dirigée vers l’idée d’une "union sans cesse plus étroite". Cette formule vient du préambule du traité de Rome, ce traité auquel les gouvernements britanniques voulaient, à l’époque, à tout prix adhérer. Elle est assez vague et ouverte à plusieurs interprétations, mais c’est, malgré ses défauts, la seule formule communément admise, depuis cinquante ans, pour indiquer l’objectif de la construction européenne. Elle marque un mouvement, et sa direction. C’est bien pourquoi on la retrouve aujourd’hui à l’article premier du traité sur l’Union européenne, emplacement significatif. Mettre cela en cause n’est pas un détail de procédure. Cameron indique que, s’il perdait son pari, la Grande-Bretagne pourrait poursuivre son chemin dans le monde en dehors de l’Union. On pourrait ajouter, ce qu’il ne dit pas, que l’Union européenne pourrait aussi poursuivre son chemin dans le monde sans la Grande-Bretagne. Mais d’un côté comme de l’autre il y aurait un prix politique à payer, et il serait élevé. Faut-il donc souhaiter qu’il gagne son pari hasardeux ? Dans les conditions qu’il indique, ce n’est pas vraiment sûr. Chacun sait et admet que l’Union européenne, et la zone euro en particulier, doit poursuivre son intégration pour sortir de la crise qu’elle connaît. Les étapes en sont déjà balisées et elles entraînent des décisions difficiles. Certaines demanderont des modifications de traité, c’est à dire, dans le cadre juridique actuel, l’unanimité des pays membres. Poursuivre cette voie avec un partenaire dont il nous dit qu’il souhaite surtout diminuer le niveau actuel d’intégration devient problématique. Pour le pacte de stabilité budgétaire, nous avons contourné le veto britannique en sortant provisoirement du cadre institutionnel de l’Union. C’est un signal de danger : nous risquons, en continuant, de marginaliser les institutions qui sont, depuis toujours, au cœur de la construction européenne. Un esprit pessimiste dirait : que Cameron gagne son pari ou le perde, l’Union européenne n’a rien à gagner. Un esprit optimiste pourrait prédire qu’il perdra les élections.

Philippe de Schoutheete

Ambassadeur honoraire. Membre de l’Académie Royale de Belgique.