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Strengthening rather than merging Belgian intelligence services

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Right-wing extremist Jurgen Conings has been on the loose for two weeks, raising fundamental questions about radicalisation in the armed forces notably. Some Members of Parliament have proposed to merge the two national intelligence services, as a reaction to this alleged “fiasco”. This short opinion published in Le Soir argues that merging intelligence services is not only unnecessary, but also counter-productive.

 

This article was published in French in Le Soir, on June 2021

 

 

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il ne faut pas fusionner mais renforcer les renseignements

Fusionner le service de renseignement militaire (SGRS) et de la Sûreté de l’État (VSSE), comme le proposent plusieurs parlementaires, n’est pas une bonne démarche. Ce que l’affaire Conings a démontré, ce n’est pas tant la défaillance des services de renseignement que leur manque structurel de moyens.

 

Jürgen Conings reste introuvable, après deux semaines de cavale. Membre de la mouvance d’extrême droite, entraîné, armé et apparemment déterminé à passer à l’acte, il constitue une menace sévère et imminente. Plus largement, les soutiens dont bénéficie le militaire sont aussi une source d’inquiétude réelle. On pourrait craindre par exemple un phénomène d’émulation chez certains groupuscules ou individus isolés.

L’« affaire Conings » a déjà soulevé un certain nombre de questions. Des questions sur le nombre de personnes radicalisées au sein de l’armée et de nos services de sécurité, et sur la menace d’extrême droite plus globalement. Des questions sur les moyens disponibles et mis en œuvre pour surveiller et contrôler cette menace. Des questions, éventuellement, sur les responsabilités de chacun, notamment au sein de l’armée. En attendant que toute la lumière soit faite, cette affaire aura eu à tout le moins le mérite de placer la lutte contre l’extrémisme violent de droite en haut de l’agenda politique et sécuritaire.

Une proposition radicale

Ces derniers jours, postulant un « fiasco » des services de renseignement, on a pu entendre certains parlementaires s’exprimer en faveur d’une fusion du service de renseignement militaire (SGRS) et de la Sûreté de l’État (VSSE). C’est ce qu’ont déclaré en chœur Georges Dallemagne (cdH), Denis Ducarme (MR) ou encore François De Smet (DéFI). Des voix de la majorité comme de l’opposition fédérale, donc. Mais surtout des voix francophones. Car, du côté néerlandophone, ce débat ne semble pas à l’agenda, même si en son temps le ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA) n’excluait pas un tel scénario.

Les auteurs de cette proposition font explicitement le parallèle avec l’« affaire Dutroux », où un manque de coopération entre la police et la gendarmerie avait entraîné une réforme profonde du monde judiciaire, dont une fusion de ces services dans une police intégrée.

Mais comparaison n’est pas raison. Selon les premières informations disponibles, des questions légitimes doivent être soulevées sur le suivi des personnes radicalisées au sein de l’armée et sur les mesures prises à leur égard. Mais il revient au Comité R (qui contrôle les services de renseignement) de faire toute la lumière sur les manquements éventuels, et d’identifier les causes de ceux-ci (négligence ou manque de moyens ?). Des conclusions pourront alors être tirées, sur base de cette enquête.

Des éléments encourageants

Car il faut se méfier des conclusions hâtives. Si l’on peut être choqué par certains éléments dans cette affaire, il ne faudrait pas ignorer pour autant un certain nombre d’éléments plus encourageants. Le fait que Jürgen Conings ait été détecté et signalé à plusieurs reprises suggère que nos services de renseignement ne sont pas aveugles sur la menace d’extrême droite. D’ailleurs, ces services ont à plusieurs reprises indiqué qu’ils prenaient cette menace très au sérieux, tout en soulignant qu’elle était moins prononcée chez nous que chez certains de nos voisins (en France ou en Allemagne, notamment), et qu’elle émarge actuellement d’individus isolés plutôt que de groupes organisés. Jürgen Conings confirme cette analyse. Par ailleurs, le fait que l’Ocam (Organe de Coordination et d’Analyse de la Menace) ait catégorisé le militaire comme un « extrémiste potentiellement violent » et ensuite relevé son niveau de menace au début de l’année indique que l’information avait in fine circulé, et que l’analyse était bonne.

Une fusion contre-productive

Outre le besoin d’une évaluation nuancée des « failles » éventuelles, on peut s’interroger sur la valeur ajoutée d’une fusion de nos services de renseignement. Tout d’abord, le SGRS et la VSSE ont des compétences et expertises relativement distinctes, plus complémentaires que redondantes. Si les deux services travaillent notamment sur la lutte contre le terrorisme, c’est avec des tâches et responsabilités relativement différentes. Par ailleurs, s’il y avait bien des tensions profondes et un manque de coopération entre ces deux services il y a vingt ans, ces relations se sont nettement améliorées ces dernières années, surtout en matière de contre-terrorisme. La mise en œuvre d’un plan stratégique commun et d’équipes communes (des agents du SGRS travaillent aujourd’hui dans les bureaux de la Sûreté) illustre cette évolution positive. Par ailleurs, l’Ocam agit déjà comme un facilitateur dans cette coopération, notamment au travers des différents groupes de travail du Plan R (dont un groupe sur l’extrême droite), réunissant les différents services de sécurité du pays, et via la base de données commune, qui facilite le partage d’information entre l’ensemble de ces services. Une fusion n’apporterait donc que peu de valeur ajoutée.

A contrario, une telle fusion pourrait s’avérer contre-productive. D’abord parce que ces services ont chacun une culture propre (culture militaire notamment pour le SGRS) qui correspond à leurs missions et qui pourrait se perdre dans une structure unique. Ensuite parce que maintenir deux services, c’est aussi conserver une forme de compétition saine et vertueuse. En effet, un service unique c’est aussi une ligne hiérarchique unique, avec une vision et des orientations politiques uniques. Avec deux services, on limite les risques liés à de mauvais choix politiques ou managériaux, à l’émergence d’une pensée unique (en termes d’analyse de la menace, notamment), ou encore les angles morts stratégiques. D’ailleurs, les pays de taille comparable à la Belgique ont tous au moins deux services de renseignement. Les Français en comptent dix.

Renforcer les structures existantes

Ce que l’affaire Conings a démontré, ce n’est pas tant la défaillance des services de renseignement que leur manque structurel de moyens, décrié depuis vingt ans. La menace terroriste est aujourd’hui multiple (émanant de différentes formes d’extrémisme) et diffuse. Une grande réforme semble aujourd’hui moins nécessaire qu’un renforcement des structures et dynamiques existantes. A défaut, d’autres affaires Conings émergeront encore.

 

Par Dr Thomas Renard, chercheur à l’Institut Egmont et professeur à la Brussels School of Governance